"En attendant le rapport Darrois
Avant même le rapport de l’avocat Jean-Michel Darrois, rendu en janvier prochain, notaires et avocats s’opposent au sujet d’une éventuelle «grande profession du droit». Les uns poursuivent leur lobby efficace, et les autres, en principe soutenus par l’Elysée, sont contestés dans leur propre camp.
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En 1967, un groupe d’avocats publiait chez le célèbre éditeur juridique Dalloz un « livre bleu » appelant au regroupement des professions juridiques et judiciaires.
Pourtant, plus de quarante ans plus tard, la question n’est pas tranchée.
La réunion des professions d’avoué et de conseil en propriété industrielle avec celle d’avocat seront certes effectives d’ici peu. Mais la grande fusion, celle qui unirait les deux professions, avocats et notaires, attend toujours. La mission de réflexion sur la grande profession confiée par le président de la République à l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois doit rendre ses conclusions en janvier 2009. D’ici là, les esprits s’échauffent.
Les notaires s’opposent bien sûr à ce mariage qu’ils jugent sans fondement puisque « notaires et avocats n’exercent pas le même métier », répétait Bernard Reynis, président du Conseil supérieur du notariat (CSN) jusqu’au 30 octobre dernier. La profession n’hésite pas à faire appel au lointain soutien du pape… Paul VI qui affirmait autrefois que « la fonction notariale a sa raison d’être dans la constatation exacte des faits et actes juridiques et dans la fidèle conservation de ces instruments de preuve ».
Les notaires reçoivent l’appui plus inattendu du site Internet Bellaciao.org, porte-parole de la «gauche anticapitaliste», qui donne la parole à Noël Lechat, secrétaire général de la fédération CGT des sociétés d’études. «Que fera-t-on de 50 000 salariés des études, dont les mesures de reclassement nécessiteront des sommes qui ne sont pas prévues au programme à ce jour ?», s’interroge le syndicaliste. Les salariés des notaires bénéficient en effet d’un régime spécial de retraite et d’une convention collective particulièrement favorable qui pourraient disparaître en cas de fusion avec les cabinets d’avocats.
Le notariat poursuit son efficace lobby auprès du gouvernement comme du grand public. La profession a l’oreille de la Chancellerie. Et à la mi-octobre, alors que se tenait à Lille la Convention nationale des avocats, plus grand rassemblement jamais organisé par les robes noires, on pouvait entendre sur les principales radios d’information plusieurs spots publicitaires vantant « les notaires, sûrement et pour longtemps ».
Les avocats abordent en principe le combat en position de force. Nettement plus nombreux (50 000 contre 8 000), ils bénéficient du soutien de l’Elysée, attaché à la réforme du secteur.
« Règles issues de l’Ancien Régime »
Lors de la Convention de Lille, dont le thème, « concurrence et compétitivité », avait été opportunément accordé aux préoccupations du jour, Paul-Albert Iweins, président du Conseil national des barreaux (CNB), a usé d’envolées qu’on aurait pu prêter à Nicolas Sarkozy pour montrer du doigt le notariat « confortablement protégé par des règles issues de l’Ancien Régime » et qui « prospère à l’abri de monopoles ».
Accueillant les congressistes, le Bâtonnier de Lille, Bertrand Debosque, s’est pour sa part montré offensif contre les notaires mais aussi contre les experts-comptables, dénonçant « la concurrence des professions limitrophes » en matière de prestations juridiques, alors que pour défendre les citoyens au tribunal, a-t-il assuré, « on a beau regarder autour de nous, on n’aperçoit pas de concurrents ».
Pour Paul-Albert Iweins, la création d’une profession unique bénéficierait d’abord aux consommateurs. Et bien sûr, les 50 000 praticiens ne pourraient selon lui qu’y gagner des parts de marché. « L’activité judiciaire n’a cessé de diminuer pendant une période où le nombre d’avocats a doublé », rappelle-t-il. Dès lors, l’activité juridique de la profession, générée par les cabinets d’affaires, représente aujourd’hui « plus des deux-tiers du chiffre d’affaires global de la profession », ajoute-t-il. L’ouverture de la profession permettrait en outre de répartir la charge de l’activité judiciaire sur les autres juristes. « Est-il équitable que seuls les avocats soient mis économiquement à contribution pour le service public de la justice, l’aide juridictionnelle et les permanences pénales ? », s’interroge le président du CNB.
Contestation chez les avocats
Mais avant de remporter la bataille contre les notaires, Paul-Albert Iweins doit convaincre son propre camp. En effet, l’opportunité d’une grande profession n’est pas partagée par tous les avocats, loin s’en faut. Les praticiens du judiciaire, notamment, craignent d’y perdre leur indépendance. « Est-ce que la profession se définit par le marché ? », se demandait ainsi à Lille Régine Barthélémy, présidente du Syndicat des avocats de France (SAF), marqué à gauche. « Notre déontologie s’est construite sur la fonction de défense. Alors que le judiciaire se paupérise, devons-nous tourner le dos à une fonction essentielle et aller ailleurs où le pré est plus vert ? », poursuivait l’avocate.
Au CNB, on répond que l’ouverture va dans le sens du marché comme de l’histoire. « Les cabinets les plus prospères sont ceux qui travaillent dans les secteurs les plus concurrentiels », affirme François-Xavier Mattéoli, ancien bâtonnier des Hauts-de-Seine et membre du CNB. « La profession n’est déjà plus ce qu’elle était avant 1991 », insiste Frédéric Landon, un autre membre du conseil, dans une allusion à la fusion, entre avocats et conseils juridiques, désormais considérée comme acquise.
Olivier RAZEMON"
Trouvé sur Les Echos Judiciaires
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